Le sevrage naturel de l'allaitement : démystifier une expression culpabilisante
- Marianne Bertrel
- 17 oct.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 nov.
Introduction : le sevrage naturel de l'allaitement mythe ou seule solution bienveillante ?
Le terme "sevrage naturel", utilisé par la Leche League, circule massivement sur les réseaux sociaux et dans les communautés de parents. Présenté comme la méthode la plus bienveillante et respectueuse de l'enfant, il désignerait le fait d'attendre que l'enfant cesse spontanément de téter, généralement entre 2 et 7 ans. Mais que se cache-t-il réellement derrière cette expression ? S'agit-il d'une recommandation scientifique établie ou d'une interprétation militante d'hypothèses anthropologiques ? Et surtout, quelles sont les implications à long terme du lien entre alimentation et régulation émotionnelle ?
Cet article propose une analyse critique et documentée de la notion de "sevrage naturel", explore les enjeux du rapport précoce entre nourriture et émotions, et aborde les liens entre allaitement, sommeil et développement de l'autonomie chez l'enfant.

Origine du concept de "sevrage naturel"
L'étude anthropologique de Katherine Dettwyler
L'expression "sevrage naturel" trouve son origine dans les travaux de l'anthropologue Katherine A. Dettwyler, publiés en 1995. Cette chercheuse a proposé une estimation de l'âge "naturel" du sevrage chez l'humain en se basant sur des comparaisons avec d'autres primates et mammifères. En analysant différents marqueurs biologiques (poids de naissance, éruption dentaire, maturation du système immunitaire, taille corporelle adulte), elle a suggéré que l'âge optimal biologique du sevrage chez l'être humain se situerait entre 2,5 et 7 ans.
Une hypothèse anthropologique, pas un consensus médical
Il est crucial de comprendre que cette fourchette d'âge constitue une hypothèse anthropologique, non une recommandation pédiatrique ou médicale établie. Aucune organisation de santé internationale ne définit 7 ans comme un âge "naturel" ou optimal pour le sevrage :
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande "l'allaitement maternel exclusif pendant les 6 premiers mois, puis la poursuite de l'allaitement avec une alimentation complémentaire appropriée jusqu'à 2 ans ou plus". Le terme "ou plus" reste volontairement ouvert et ne fixe aucune limite supérieure de 7 ans.
Santé Canada formule des recommandations similaires, encourageant l'allaitement jusqu'à 2 ans et au-delà si la mère et l'enfant le souhaitent, sans mentionner de borne supérieure spécifique.
La Société Française de Pédiatrie ne fait aucune référence à une fourchette de 2 à 7 ans comme norme biologique.
La transformation sur les réseaux sociaux
L'hypothèse de Dettwyler, initialement publiée dans un contexte scientifique anthropologique, a été largement reprise, simplifiée et transformée par le mouvement du maternage proximal sur les réseaux sociaux. Elle est désormais souvent présentée comme une vérité scientifique absolue, créant une norme prescriptive là où il n'existait qu'une observation comparative.
La question du besoin nutritionnel vs. émotionnel
Le lait maternel après 12 mois : quelle place nutritionnelle ?
Les recommandations nutritionnelles internationales sont claires : le lait (maternel ou infantile) constitue l'aliment principal pendant la première année de vie. Après 12 mois, c'est l'alimentation solide diversifiée qui doit progressivement couvrir la majorité des besoins nutritionnels de l'enfant.
Si le lait maternel conserve des propriétés immunologiques et nutritionnelles intéressantes au-delà d'un an, seul, il ne répond plus aux besoins caloriques et nutritionnels complets d'un enfant qui grandit. La diversification alimentaire permet l'apprentissage de nouvelles textures, saveurs, compétences masticatoires et une couverture nutritionnelle plus large (notamment en fer, zinc, protéines variées).
Quand l'allaitement devient principalement émotionnel
Si on évoque un sevrage "naturel" entre 2 et 7 ans, on parle donc principalement d'un rôle émotionnel et affectif de l'allaitement, non d'un besoin nutritionnel primaire. Cette distinction est fondamentale.
La question devient alors : quel est l'impact à long terme d'un lien prolongé et exclusif entre alimentation (même maternelle) et régulation émotionnelle ?
Alimentation et régulation émotionnelle : un enjeu crucial
Les risques du lien précoce entre nourriture et apaisement
La recherche en psychologie du développement et en nutrition comportementale met en évidence les dangers d'associer systématiquement alimentation et gestion des émotions. De nombreux enfants, adolescents et adultes développent :
Des comportements de compensation alimentaire : utiliser la nourriture comme réponse automatique au stress, à la tristesse, à l'ennui ou à l'anxiété
Du surpoids ou de l'obésité liés à une alimentation émotionnelle non régulée
Des troubles du comportement alimentaire (TCA) : hyperphagie boulimique, boulimie, restriction cognitive
Une difficulté à identifier et gérer leurs émotions autrement que par l'acte de manger
Bien entendu, l'allaitement d'un jeune enfant n'est pas directement comparable au grignotage émotionnel d'un adulte. Le contexte est différent, la relation parent-enfant est unique. Mais la question mérite d'être posée : à partir de quel moment maintenir ce lien fort entre nourriture (même le sein maternel) et apaisement émotionnel, voire stratégie unique d'endormissement, peut-il devenir problématique pour le développement de l'autonomie affective de l'enfant ?
L'importance de diversifier les stratégies d'apaisement
Les enfants doivent progressivement apprendre diverses stratégies de régulation émotionnelle :
Le langage : mettre des mots sur leurs émotions
Le contact physique non alimentaire : câlins, portage, massage
Le jeu : exprimer et évacuer les tensions
Le mouvement : courir, danser, sauter pour réguler l'énergie émotionnelle
La respiration : techniques d'apaisement par le souffle
La créativité : dessin, musique, modelage
Le sein ne peut pas être l'unique réponse à toutes les émotions pendant des années sans risquer de limiter le développement du répertoire émotionnel de l'enfant. Cette affirmation ne constitue pas un jugement sur les mères qui allaitent longtemps, mais une invitation à la réflexion sur l'équilibre nécessaire.
Allaitement et sommeil : des liens complexes
L'endormissement au sein : un piège pour certains enfants
Dans ma pratique d'accompagnement du sommeil des enfants, je constate régulièrement que l'endormissement systématique au sein peut créer des difficultés significatives pour certains bébés et jeunes enfants.
Les problématiques observées :
Réveils nocturnes fréquents : l'enfant qui s'endort au sein ne possède qu'une seule stratégie d'endormissement. À chaque micro-réveil (normaux dans les cycles de sommeil), il réclame le sein pour se rendormir, même sans faim réelle, ni besoin nutritionnel.
Siestes courtes et fragmentées : de nombreux enfants habitués à s'endormir au sein ne parviennent pas à prolonger leurs siestes au-delà de 30 à 45 minutes. Incapables de se rendormir seuls, ils se réveillent à la fin du premier cycle de sommeil léger.
Épuisement maternel : les mères se retrouvent piégées dans un schéma où elles doivent être disponibles physiquement pour chaque endormissement et chaque réveil, jour et nuit, pendant des mois voire des années. Certaines ont même payé des sommes importantes, à des coachs sommeil peu scrupuleuses et visiblement mal informées, pour entendre qu'elles n'avaient pas le choix d'allaiter 10 fois par nuit si l'enfant le demandait, car jamais un enfant ne pourrait se réveiller par habitude mais seulement par besoin. Ce qui est évidemment complètement faux.
Les besoins nutritionnels nocturnes : que dit la science ?
Au-delà de quelques mois de vie, aucun bébé en bonne santé et bien nourri la journée n'a besoin de s'alimenter la nuit pour des raisons nutritionnelles.
Les recherches en pédiatrie et en physiologie du sommeil montrent que :
Vers 4-6 mois, un né bébé à terme, en bonne santé et avec une croissance normale peut physiologiquement passer 8 à 12 heures sans manger la nuit
Les réveils nocturnes avec demande de sein après cet âge relèvent principalement d'habitudes d'endormissement, non d'une faim biologique. Il en va de même pour les biberons nocturnes évidemment.
La fragmentation du sommeil due aux tétées nocturnes fréquentes peut impacter négativement l'état de santé (défenses immunitaires faibles, difficultés alimentaires, croissance freinée...), le développement cognitif et émotionnel de l'enfant, ainsi que l'équilibre familial et la santé mentale des parents.
Il est possible de bien dormir ET d'allaiter
Cette réalité est essentielle à transmettre : allaitement et bon sommeil ne sont pas incompatibles. Il s'agit de distinguer :
L'allaitement comme source nutritionnelle : qui peut se poursuivre aussi longtemps que souhaité pendant la journée
L'allaitement comme unique outil de régulation émotionnelle ou stratégie d'endormissement : qui peut créer des difficultés si on ne propose pas à l'enfant d'autres stratégies
Un enfant peut parfaitement être allaité le matin, en journée et au coucher, tout en apprenant à s'endormir et à se rendormir seul la nuit. Cette dissociation entre alimentation et endormissement favorise :
Un sommeil plus consolidé et réparateur pour l'enfant
Une meilleure récupération pour les parents
Le développement de l'autonomie d'endormissement
Le maintien de l'allaitement sans épuisement maternel
Les dangers du dogmatisme parental
La hiérarchisation morale des choix
A l'image de l'expression "maternage proximal", sous entendant que toutes les autres pratiques imposent une distance entre le bébé et ses figures d'attachement, le problème fondamental avec l'expression "sevrage naturel" n'est pas l'allaitement prolongé en soi, mais le dogmatisme qui l'entoure sur les réseaux sociaux. Cette approche crée une hiérarchie morale implicite :
Si c'est "naturel", ce serait intrinsèquement supérieur
Les autres choix seraient donc "artificiels" ou moins bénéfiques
Les parents qui ne suivent pas ce chemin seraient moins à l'écoute de leur enfant
Cette logique pose plusieurs problèmes éthiques et pratiques :
Problème 1 : Une science détournée
Présenter comme "science" ce qui est une hypothèse anthropologique contestée est intellectuellement malhonnête. L'étude de Dettwyler ne fait pas consensus dans la communauté scientifique médicale et pédiatrique.
Problème 2 : Le mythe du "naturel" supérieur
Le naturalisme dogmatique ignore que l'espèce humaine a évolué différemment des autres mammifères. Pas "mieux" ou "moins bien" - simplement différemment. Nos contextes de vie, nos structures sociales, notre développement cognitif et notre culture rendent caduques les comparaisons directes avec les grands singes.
Nous ne vivons plus comme nos ancêtres préhistoriques. Nous avons développé :
Des structures sociales complexes
Des systèmes éducatifs
Des contraintes professionnelles
Des modes de vie urbains
Des réseaux de soutien variés au-delà de la dyade mère-enfant
C'est un fait, et c'est acceptable. Dans cet article l'objet n'est pas de savoir si cette évolution est bonne ou mauvaise, mais de ne pas nier la réalité.
Problème 3 : L'ignorance des réalités socio-économiques
Certains discours dogmatiques prétendent qu'on a "toujours le choix" :
De ne pas reprendre le travail
De se passer d'un revenu pendant des années
De ne pas faire garder son enfant
D'allaiter jusqu'à ce que l'enfant se sèvre seul
C'est faux. Tout le monde n'a pas ces privilèges ou n'est pas dans l'obligation d'aspirer à la même vie que les adeptes du "retour au naturel".
Présenter ces situations comme des "choix" universellement accessibles est :
Déconnecté des réalités économiques
Culpabilisant pour les parents qui DOIVENT travailler
Méprisant envers ceux qui VEULENT reprendre le travail
Ignorant des situations monoparentales, des familles précaires, des contextes où un seul salaire ne suffit pas
Respecter tous les chemins parentaux
Légitimer la diversité des pratiques
Il n'existe aucun sevrage plus "naturel" qu'un autre. Chaque famille fait face à des variables uniques :
Vos besoins réels : physiques, émotionnels, énergétiques
Votre contexte socio-économique : situation professionnelle, revenus, logement
Vos contraintes professionnelles : possibilités de congé, flexibilité, type de travail
Votre santé mentale : énergie disponible, charge mentale, risque de burn-out parental
Vos réflexions sur le rapport alimentation-émotions et l'autonomie de votre enfant
Votre famille unique : fratrie, réseau de soutien, valeurs personnelles
Tous ces choix sont légitimes
✅ Tu allaites jusqu'à 2-3 ans ou plus parce que ça vous convient à tous les deux ? Magnifique !
✅ Tu as sevré à 6 mois pour reprendre le travail par nécessité ou envie ? Légitime !
✅ Tu n'as pas pu ou voulu allaiter ? Ton bébé sera nourri avec un lait infantile et vous créerez votre lien autrement !
✅ Tu tires ton lait pour concilier allaitement et travail ? Respect total !
✅ Tu donnes le biberon dès la naissance ? Ton bébé est nourri et aimé !
✅ Tu as choisi de sevrer pour aider ton enfant à développer d'autres stratégies émotionnelles ? C'est un choix parental réfléchi !
✅ Tu as dissocié allaitement et endormissement pour préserver le sommeil de toute la famille ? C'est prendre soin de l'équilibre familial !
L'Accompagnement vers un équilibre familial sain
Sommeil, nutrition et régulation émotionnelle : une approche globale
Dans mes accompagnements, j'adopte une vision holistique du bien-être familial qui intègre plusieurs dimensions essentielles :
Le sommeil de l'enfant
Un enfant qui dort bien est un enfant qui :
Régule mieux ses émotions
Se développe de façon optimale sur le plan cognitif
Est plus disponible pour les apprentissages
Présente moins de troubles du comportement ou de l'alimentation
Grandit en bonne santé
Mon approche du sommeil respecte la physiologie de l'enfant tout en accompagnant les familles vers :
Des routines sécurisantes
L'apprentissage de l'autonomie d'endormissement
La consolidation des nuits
L'allongement et la qualité des siestes
La nutrition équilibrée
Au-delà de l'allaitement ou du biberon, je travaille avec les familles sur :
La diversification alimentaire progressive et respectueuse
L'équilibre nutritionnel adapté à chaque âge
La dissociation entre alimentation et gestion émotionnelle
Le développement d'une relation saine à la nourriture
Le rééquilibrage alimentaire quand nécessaire
La régulation émotionnelle
J'accompagne les parents pour aider leur enfant à développer un répertoire varié de stratégies d'apaisement :
Identifier et nommer les émotions
Trouver des alternatives au sein ou à la nourriture pour se calmer
Développer l'auto-apaisement progressif
Construire la sécurité affective sans dépendance exclusive à l'alimentation
Allaitement et sommeil : une compatibilité possible
Un mythe tenace prétend qu'on ne peut pas :
Allaiter ET avoir un enfant qui dort bien
Être bienveillante ET poser des limites sur les tétées nocturnes
Respecter son enfant ET lui apprendre à s'endormir autrement qu'au sein
Ces oppositions sont fausses.
Dans mes accompagnements, je démontre chaque jour qu'il est possible de :
Maintenir l'allaitement en journée tout en réduisant les tétées nutritives ou en supprimant les tétées nocturnes non nécessaires
Préserver le lien d'attachement tout en développant l'autonomie de sommeil
Respecter le rythme de l'enfant tout en posant un cadre sécurisant
Être à l'écoute tout en ne répondant pas systématiquement par le sein à chaque pleur
Conclusion : pour une parentalité éclairée et sans jugement
Les critères d'un "bon" sevrage
Le "bon" sevrage n'existe pas dans l'absolu. Il existe le sevrage adapté à votre famille, celui qui répond aux critères suivants :
L'enfant est nourri, en bonne santé et se développe bien
Les parents sont à l'aise avec leur décision, sans culpabilité ni épuisement
Personne n'est en souffrance : ni le parent (épuisement, douleur, ressentiment), ni l'enfant (pleurs prolongés, frustration excessive)
Le choix est réfléchi selon vos réalités, vos valeurs et vos observations de votre enfant
L'enfant développe progressivement d'autres stratégies de régulation émotionnelle
Un message aux créateurs de contenu
Arrêtez de présenter le sevrage "naturel" comme une vérité scientifique universelle.
Arrêtez de faire culpabiliser les parents qui n'ont pas le luxe (ou l'envie !) de suivre ce chemin.
Votre réalité n'est pas LA réalité. Votre choix n'est pas LE choix. Une étude anthropologique de 1995 comparant humains et primates n'est pas une prescription médicale.
Vers une parentalité sans hiérarchie
Il n'y a pas de médaille d'or de la "meilleure mère". Il y a des familles qui font de leur mieux avec :
Leurs moyens financiers
Leurs contraintes professionnelles
Leurs désirs et aspirations
Leurs réflexions sur ce qui est sain pour LEUR enfant
Leur situation unique
Tous ces choix méritent respect et soutien, pas jugement et dogmatisme basés sur une interprétation militante d'une hypothèse scientifique.
Pour aller plus loin
Si vous souhaitez être accompagnée pour :
Préserver ou poursuivre votre allaitement tout en améliorant le sommeil de votre enfant
Développer l'autonomie d'endormissement de votre bébé sans sevrage brutal
Travailler sur le lien entre alimentation et émotions dans votre famille
Mettre en place un rééquilibrage alimentaire qui respecte les besoins de chacun
Retrouver des nuits réparatrices pour toute la famille
Je propose des accompagnements personnalisés qui intègrent sommeil, nutrition et régulation émotionnelle, dans le respect de vos valeurs et de votre contexte unique.
Cet article vise à ouvrir le dialogue et encourager une réflexion nuancée sur les pratiques parentales. Il ne constitue pas un avis médical personnalisé. Pour toute question spécifique concernant l'alimentation ou la santé de votre enfant, consultez un professionnel de santé.
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